Mazan : une méthode révolutionnaire de conservation de vin naturel

Mazan : une méthode révolutionnaire de conservation de vin naturel

Au Château la Croix des Pins, à Mazan, la cuvée "La Tête à l'envers" fait passer l'oenologue pour un illuminé.

Nous avons dégusté ce vin naturel conçu pour résister au voyage : il tient la route !

 

Pour comprendre pourquoi, une nuit, l'oenologue Jean-Pierre Valade a eu l'idée de mettre des bouteilles de vin sans sulfites la tête en bas afin que le breuvage se conserve, il faut préciser qu'il est avant tout consultant international pour la fabrication d'effervescents. Tout en oeuvrant actuellement à la destinée du Château de La Croix des Pins, à Mazan, il voyage en permanence en Espagne, en Italie, au Venezuela, en Uruguay... pour diffuser son précieux savoir pour le compte de l'Institut oenologique de Champagne. Une structure qui compte six laboratoires à travers la France, dont un à Courthézon, et appartenait à un certain Eric Petitjean, qui a vendu l'entreprise en 2008. "Eric m'a alors permis de réaliser un de mes rêves : devenir vigneron. Comme je suis originaire de Gap, je suis attiré par le Sud, où j'ai cherché un domaine. Il a donc investi pour moi à la Croix des Pins, où je possède également des parts," confie Jean-Pierre Valade.

Gigondas et Beaumes-de-Venise

Après l'acquisition des bâtiments et des 22 hectares d'AOC Ventoux, à la croisée des chemins entre Caromb, Mazan et Bedoin, le duo a également acquis sept hectares de Gigondas et quatre de Beaumes-de-Venise. Une jolie gamme d'appellations , enrichie, au caveau, par quelques champagnes de la propriété de... Eric Petitjean.

Nos vignobles provençaux affrontent le changement climatique

Une vinification champenoise de laquelle s'inspire pleinement la cuvée insolite "La Tête à l'envers". "Pour faire du champagne, explique Jean-Pierre Valade, on prend une bouteille résistante et on ajoute du sucre et de la levure. La fermentation produit un gaz carbonique que l'on emprisonne et qui condense 60 millions de bulles dans la bouteille. Les levures, qui peuvent capter l'oxygène de l'extérieur, même à travers une capsule, peuvent faire aussi fonction de filtre. C'est pour cette raison que lorsque l'on veut bloquer l'évolution du champagne, on le laisse « sur pointe »." C'est ainsi que le technicien a eu l'idée de transposer sa manipulation pour conserver du vin rouge sans soufre.

Ce jour où Patrick Chêne est devenu vigneron vauclusien

"Si vous avez une vendange saine et suffisamment de savoir-faire, réaliser du vin sans sulfites est possible. Mais pour conserver ce vin sans antioxydant ni antiseptique, c'est plus problématique. Et pour le faire voyager, c'est impossible. Il craint trop les changements de température. Sur les bouteilles La Tête à l'envers, donc, c'est un dépôt de trois millimètres de levure, qui viennent se déposer entre le vin et le bouchon de liège, qui fait office de sulfite et aide à la conservation."

Trouvaille

En entrant dans le caveau du Château La Croix des Pins, sautent immédiatement aux yeux ces exemplaires de bouteilles le cul en l'air, dans leurs contenants sur-mesure. Les dubitatifs devant un nom de cuvée qui combine l'humour, le réalisme et le marketing, après quelques questions et une dégustation , peuvent constater qu'ils sont en face d'une véritable trouvaille. Ce vin naturel est resté, comme disent les spécialistes, "sur la fraîcheur et le fruit", mais, surtout, les premières cuvées de 2013 n'ont pas bougé. Ce qui a d'ailleurs chagriné notre inventeur, qui peaufine sa méthode champeno-comtadine au fil des millésimes. "En 2013, j'avais utilisé des bouchons très longs et hermétiques. Plus la levure et la position, les échanges avec l'extérieur étaient trop limités. J'ai donc mis des bouchons normaux. Au niveau du choix du cépage, je suis aussi passé de la syrah au marselan." Sinon, comme dernier conseil de fabrication, il peut encore vous dire que "la levure utilisée vient de la première fermentation du vin".

La technologie au service de nos vignerons

L'oenologue qui s'appuie sur son précieux maître de chai Christophe Didier pour mener ses vignes en bio et ses vins à leur capacité optimale, n'est pas pour autant un extrémiste du vin naturel. "Mis à dose raisonnable, le sulfite ne nuit pas à la santé. Il y en a moins dans le vin que dans les raisins secs..." Cet homme ne se contente pas de mettre des bouteilles à l'envers, il aime aussi bousculer les idées reçues.

Bernard Sorbier, La Provence 

 

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